Quand le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique s’est rendu à l’université de Cocody à Abidjan, Côte-d’Ivoire, en mai dernier, il a été reçu par des étudiants en colère.
Invité pour un colloque, le ministre Cissé Ibrahim Bacongo est arrivé dans la matinée de lundi sur le campus de l’université de Félix Houphouët-Boigny de Cocody. Sur place, les étudiants avaient organisé un rassemblement pour réclamer de meilleures conditions d’études et pour dénoncer les effets de la corruption dont ils sont victimes. Certains portaient des pancartes « quel avenir pour les juristes », d’autres scandaient des slogans « Bacongo voleur, Bacongo voyou ». Le ministre a tenté de s’adresser à la foule, mais il s’est fait encerclé. Les actions des étudiants sont toujours restées non violentes, il ne s’agit pas d’un mouvement politisé, malgré ce qui a été rapporté. Cissé Ibrahim Bacongo est ensuite se mettre à l’abri dans un bâtiment protégé par des policiers. La police est intervenue pour nous disperser à coup de gaz lacrymogène.
L’université de Cocody accueille une douzaine d’unités d’enseignement et plus de 50 000 étudiants. Fermée pendant la crise post-électorale en 2010-2011, elle a rouvert ses portes en septembre 2012 après que plusieurs bâtiments ont été rénovés par les nouvelles autorités. Les nouveaux bâtiments avaient suscité une vague d’espoir mais rapidement, les étudiants ont déchanté.
Au lieu d’obtenir de nouveaux amphithéâtres, l’on a constaté que l’on s’est contenté de réhabiliter les amphithéâtres. Le matériel de pointe tant annoncé n’était que du matériel bon marché qui s’est complètement endommagé en l’espace de deux mois… ni la climatisation, ni la sonorisation ne fonctionnent actuellement dans la plupart des salles et amphithéâtres. Les étudiants issus des facultés de sciences se plaignent de n’avoir reçu aucun matériel pour leurs laboratoires, même la connexion wifi fait défaut …. Certains bâtiments manquent encore d’eau et d’électricité. Par exemple pour la faculté de droit seulement seule une salle d’eau est fonctionnelle pour environ 8 000 étudiants. Aucun moyen de transport interne n’existe pour une université d’une superficie de 200 hectares.
Ces réalités ont poussé l’opinion à se demander si cette réhabilitation était à la hauteur des 110 milliards de francs CFA annoncés.
En janvier 2013, une expertise a démontré qu’il y avait effectivement eu détournement de fonds. Le Directeur des Affaires Administratives et Financières du Ministère a été limogé et une enquête approfondie a été diligentée. A ce jour, les résultats sont toujours inconnus.
Les étudiants sévèrement touchés
Si le gouvernement reconnait qu’il y a eu détournement de fonds, il n’a malheureusement pris aucune mesure pour en juguler les effets.
Par exemple deux étudiantes en deuxième année de licence de la faculté de droit se sont évanouies en plein cours à cause de manque de place, 700 étudiants pour un amphithéâtre prévu pour 350, et le mauvais état de la climatisation.
Pour les autres niveaux de cette même faculté, Les cours sont fortement perturbés, parfois même stoppés à cause du dysfonctionnement ou de l’insuffisance du matériel de sonorisation. Les étudiants sont parfois obligés de lutter pour obtenir des chaises lors des séances de travaux dirigés, ou prennent leurs notes en restant debout. La bibliothèque de la faculté n’existe que de nom, aucun étudiant n’a pu consulter d’ouvrage.
Mais au-delà des conditions de cours subies par la faculté de droit, l’environnement universitaire lui-même est gravement atteint. Tous les étudiants s’accordent sur le fait qu’ils soient obligés de faire leurs besoins dans certains recoins de la pelouse parce qu’il n’y a ni toilettes, ni eau dans la plupart des bâtiments. Les moyens de transports prévus pour les étudiants sont très insuffisants. Les étudiants affirment qu’aller à l’université est un véritable calvaire. Un étudiant s’est fait amputer la jambe suite à un accident survenu lors d’une bousculade au quai, qui n’existe que de nom, de bus, du fait du manque de bus desservant l’université.
Des professeurs ont aussi dénoncé ces conditions de travail. L’un d’entre eux a même démissionné. Alors que, jusqu’à présent aucune disposition n’a été prise pour améliorer la situation de l’université, les étudiants ont été sanctionnés pour avoir fait valoir leur droit de manifester.
Jusqu’à présent, aucune mesure n’a été prise pour améliorer la situation, pire, certains étudiants ont été punis pour avoir protesté contre leurs conditions. Après la manifestation contre Bacongo en mai dernier, de nombreux manifestants ont reçu un blâme et se sont vus retirés leurs bourses. Certains ont également déclaré qu’ils ont subi des intimidations et des menaces.
Espoir de changement
Plusieurs groupes de la société civile ivoirienne se sont plaints de ces conditions mais nous avons peu d’espoir de changement. Nous avons eu une réunion conjointe après la visite de Bacongo en mai et nous avons demandé au gouvernement de poursuivre ses efforts de lutte contre la corruption pour éviter les détournements de fonds dans les universités du pays.
J’espère que notre demande sera entendue.