En décembre 2008, le citoyen gabonais Gregory Ngbwa Mintsa a courageusement pris position contre la corruption. Avec Transparence International France, il a déposé une plainte qui dénonçait le détournement présumé de fonds publics au Gabon. Cela fait partie des Biens Mal Acquis, une enquête sur plusieurs présidents africains soupçonnés de voler des fonds publics à grande échelle.
Gregory Ngbwa Mintsa est le lauréat du Prix de l’Intégrité de Transparency International 2010. Avec l’appel à candidature pour le prix de 2013, je lui ai demandé quelles qualités faut-il pour lutter contre la corruption.
Pourquoi vous avez décidé d’affronter la corruption dans votre pays ?
La corruption qui sévit au Gabon est la plus nocive et la plus dramatique possible: celle qui est instituée par la classe dirigeante.
Le Gabon est un pays très riche mais 60% de la population vit encore en dessous du seuil de pauvreté, dont 10% sous le seuil de pauvreté absolue.
Le patrimoine qui aurait du servir à développer le pays et répondre aux besoins quotidiens des Gabonais a été utilisé par un groupuscule pour se maintenir au pouvoir par la corruption et le clientélisme au service de la gloire et de l’enrichissement personnel. Lorsque la corruption est érigée en modèle de gouvernement, il ne faut pas s’étonner qu’elle s’étende à toutes les sphères de la société: à l’école et à l’université où des enseignants vendent des notes, à l’hôpital, aux innombrables contrôles de police, dans les églises, dans les services publics et même dans les familles.
Que faîtes-vous pour lutter contre la corruption ?
J’ai longtemps milité dans un grand parti politique de l’opposition. J’ai vite déchanté lorsque j’ai compris que, grâce à l’argent public, (l’ancien président gabonais) Omar Bongo avait toujours été, de fait, le leader de la majorité et de l’opposition.
Pendant des années, je me suis mis à dos tous les leaders politiques de la majorité autant que de l’opposition, à cause de mes éditoriaux qui insistaient sur le fait que l’Etat de droit ne vient ni des politiciens, ni des anciennes puissances coloniales, ni des syndicats, mais de l’aptitude des citoyens à défendre leurs droits eux-mêmes.
C’est pour prêcher par l’exemple que je me suis associé à la procédure dite des Biens Mal Acquis de Transparence France, sans m’exiler mais en prenant soin de rester en vie pour que les citoyens cessent d’avoir peur et qu’ils apprennent que c’est par eux-mêmes qu’ils doivent cesser de placer qui que ce soit au-dessus des lois.
102ème sur 176 pays sur l’indice de perception de la corruption deTransparency International
106ème sur 187 pays sur le l’indice de développement humain de l’ONU
41 – nombre d’années pendant lesquelles Omar Bongo a gouverné le Gabon, jusqu’à sa mort en 2009
L’enquête que Gregory Ngbwa Mintsa a aidé à mener a révélé qu’Omar Bongo et sa famille possédaient 39 propriétés en France, 70 comptes bancaires et au moins de 9 véhicules de luxe d’une valeur estimée à presque 1,5 million d’euros.
Depuis que vous avez gagnez le Prix de l’Intégrité en 2010, qu’est-ce que vous avez fait ?
Ma marge de manœuvre est extrêmement ténue. Mon salaire est confisqué, ce qui me prive du minimum vital et de lancer quelque activité que ce soit.
Il ne me reste que ma conscience et ma parole, dans un contexte où même la plupart de ceux qui me soutiennent, le font dans la plus grande discrétion.
De fait, de ne pas baisser les bras est, je pense, un défi en soi.
Est-ce que quelque chose a changé au Gabon ?
Je suis personnellement satisfait que l’affaire des Biens mal Acquis ait contribué à reconsidérer une conception de l’Etat qui était établie : que le chef de l’Etat d’un pouvoir personnifié use légitimement des biens de l’Etat de façon personnelle. Il était acclamé comme un héros lorsque, à l’occasion de campagnes électorales, il initiait une ou deux mesures régaliennes ou qu’il fasse des “dons” de médicaments, d’argent ou de cahiers dans quelques villages.
Enfin, ce qui a changé, c’est qu’il devient de plus en plus difficile aux prédateurs du patrimoine public de placer les avoirs détournés en France, la “mère-patrie” de la Françafrique.
Quel type de personne/organisation est-ce que vous voulez voir gagner le prix de l’intégrité ?
A mon avis, le Prix de l’Intégrité devrait être toujours décerné pas seulement à ceux qui luttent contre la corruption et les paradis fiscaux. Il devrait être surtout décerné à ceux qui défendent directement les intérêts des peuples, la vie quotidienne des plus faibles contre le cynisme des politiciens et des pouvoirs d’argent.
Quels sont vos souhaits pour l’avenir?
Le crime patrimonicide – l’appropriation de patrimoine public à des fins personnelles – doit être considéré comme un crime contre l’humanité.
On ne compte plus les gens traduits devant le Tribunal Pénal International pour avoir commis des exactions qui se sont soldées par des dizaines de morts. Pourtant, on déroule le tapis rouge à des criminels qui s’approprient ce qui est destiné à permettre à des milliers ou des millions de gens de naître, de grandir, de se soigner, de s’éduquer, de travailler, d’aimer, de fonder une famille, d’élever leurs enfants, et de mourir en paix.
Les conventions actuelles sont tellement non contraignantes que les prédateurs au pouvoir n’ont pas hésité à les signer. Mobilisons-nous pour imposer une cour civile internationale qui pénalisera les crimes économiques qui tuent le présent et le futur de millions d’êtres humains et menacent la paix du monde.